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Marc Villemain
28 janvier 2012

Toc 11 - Homard m'a tuer

En octobre 2003, à l'initiative d'Arnauld Champremier-Trigano et Pierre Cattan, naît le magazine TOC, qui fera paraître trente numéros jusqu'en 2007. J'eus la chance de participer à cette création, puis d'y oeuvrer comme chroniqueur. La chronique était intitulée : "Vrai ou faux".

TOC 11
J
e prends soin d’avertir les âmes sensibles qui pourraient me lire que ce billet contient, hélas, de bien funestes visions. Car voyez-vous, je fais ces temps-ci un mauvais rêve qui m’ampute de ma légendaire hilarité. Perdu dans une forêt bavaroise (mais pourquoi bavaroise ?), une ribambelle de bestioles, plus caustiques les unes que les autres, s’acharnent sur mon corps, d’un nu intégral au demeurant très inesthétique, et me dépècent de tout attribut dont je pourrais avoir l’usage (bras, yeux, oreilles, j’en passe et des meilleurs.)

Ces blousons noirs du règne animal se composent pour l’essentiel de homards – c’est un étripage de luxe. Or leur chair rose jaspée d’orange est si tendre que le martyre n’empêche nullement d’affluer en moi quelques très ripailleuses scénettes. Quoique l’infâme gang s’obstine à me décortiquer, je parviens néanmoins toujours à arracher quelques pinces au tronc des exquis crustacés et à en sucer la substantifique moelle, ce qui ne manque pas de les faire s’esclaffer. Car comme l’ont démontré de vigoureux chercheurs norvégiens (mais pourquoi vigoureux ?), le homard, dont le système nerveux n’est pas plus évolué que celui d’un insecte et qui par-dessus le marché s’est affranchi de tout cerveau, ne saurait connaître la douleur. Naturellement, cela fait bisquer les amis des bêtes, la caléfaction fatale d’une chair rose jaspée d’orange équivalant pour eux au massacre d’un Tutsi au plus haut du génocide. Voilà en tout cas de quoi altérer notre plaisir à tremper l’auguste fruit de mer dans l’eau bouillonnante, laquelle n’affecte en rien ce stoïque animal – au pire le chatouille-t-elle sous les pinces. Tant et si bien qu’au regard de ce que l’homme fait parfois de son cerveau, on se dit qu’il ne perdrait pas forcément grand-chose à en être démuni.

Toc n° 11, avril 2005

25 janvier 2012

L'Exil des Mots - Une critique de Bertrand Redonnet

Lire ici la critique dans son contexte originel, sur le blog L'Exil des Mots.

CouvPourceauJe ne suis pas - tant s’en faut - critique littéraire, au sens où je pourrais me permettre de faire une fine analyse et conseiller ou déconseiller tel ou tel livre à un public de lecteurs. Il faut du talent bien spécifique pour ça et surtout beaucoup d’honnêteté intellectuelle. Si je pense être pourvu de cette dernière qualité, ma foi, pas moins qu’une foule de gens parmi lesquels sont aussi ceux qui font profession de la critique, je crois en revanche être dénué de la première.
Je peux dire à des amis et à des proches ce qui me plaît dans tel livre ou tel livre et ce qui me déplaît dans tel autre, ou encore trier le bon grain de l’ivraie d'un même ouvrage. Tout ça au subjectif intégral, ce que tout le monde est en mesure de faire. Je vous propose ainsi de vous traiter ici en amis en vous livrant une part de ma lecture du dernier opus de Marc Villemain, Le Pourceau, le Diable et la Putain.

J’entretiens par ailleurs avec cet écrivain des relations fort amicales qui m’autorisent à parler publiquement de ce qu'il fait, d'autant qu'il eut la gentillesse, sur ma demande, de me faire parvenir son livre. Je l’ai lu avec gourmandise. D’un trait.

Je vous disais hier que je me posais pour moi-même une question qui se mord la queue, à savoir, dans quelle mesure l’écrivain n’est-il pas lui-même écrit ? C’est un défaut récurrent chez moi que de chercher toujours peu ou prou la part investie de l’auteur en personne derrière le verbe du narrateur. Trouver, donc, la clef du traitement littéraire, plutôt que de lire l’ensemble comme un véritable tout, ces deux parts devant fusionner dans l’œuvre réussie, au point d’y être difficilement identifiables. D’emblée, on ne cherchera donc pas Marc Villemain, sémillant quadragénaire, dans son personnage central, octogénaire grabataire et à l’agonie. On dévorera dès lors le monologue d’un misanthrope en bout de piste, maculant ses couches de ses incontinences - que l’infirmière Géraldine Bouvier lui change régulièrement avec un sourire écœurant de maternalisme - sous perfusions permanentes, physiquement assez lamentable mais intellectuellement d’une richesse très au-dessus de la moyenne. Un homme d’une finesse exquise même ; un homme qui toute sa vie aura été un misanthrope presque sublime et qui reprend à son compte la formule lapidaire de Chamfort en la prêtant malicieusement à Balzac : «Tout homme qui à quarante ans n’est pas misanthrope n’a jamais aimé les hommes. » J’ai retenu cette phrase-choc et ce passage, parmi bien d’autres, car j’écrivais il y a quelque temps, à propos du livre de Stéphane Beau, La semaine des quatre jeudis : «La misanthropie naît d un amour excessif des hommes, mais d’un amour déçu. » Je ne sais pas si Léandre l’octogénaire signerait cette affirmation, mais il me semble qu’il en épouse parfois l’esprit. Le vieillard cacochyme élève la misanthropie au rang d’un humanisme et c’est d’ailleurs le titre de l’ouvrage qu’il a produit quand il enseignait les lettres à l’université, Le misanthropisme est un humanisme. Facétieuse allusion au pape de l’existentialisme, compromis, lui aussi, tout comme Balzac, par une déclaration d'une dialectique fracassante en faveur de  la misanthropie. Ça devrait pas mal grincer des dents du côté des nostalgiques de Saint-Germain-des-prés…Ça devrait aussi tousser un peu, sur un autre sujet et à un autre endroit du livre, du côté de l'épicurisme primaire. Le récit que l’octogénaire en perdition fait de sa vie et le regard qu’il jette sur sa chambre d’hôpital, sur ses voisins de lit comme sur le personnel infirmier - au centre duquel règne l’incontournable Géraldine - feront découvrir au lecteur que sa position n’est pas une position purement intellectuelle, une position de muscadin en mal d’existentiel, mais une longue, une joyeuse et cohérente disposition de tout son être dans sa confrontation au monde. Un jeu. A quelqu’un qui lui conseilla jadis le suicide, Léandre encore relativement jeune avait rétorqué : Pourquoi diable me suiciderais-je, quand mon bon plaisir tient précisément au spectacle de réjouissante bêtise que vous me procurez ?

Le Pourceau, le Diable et la Putain, en dépit de l’allégresse intérieure du moribond, est un livre noir, servi par un style qui m’a surpris et que je rapprocherais volontiers de celui dont usait avec brio un certain Henri Calet. Style pur chauffé au feu de l’ironie, parfois du sarcasme.  Style distancié, un peu gouailleur aussi, mais style qui coule et vous emmène dans les méandres de Léandre avec beaucoup de tact. Un style en parfaite adéquation avec l’état d’esprit de l'agonisant.
Le seul bémol que je mettrais serait dans la recherche, en de rares endroits, d'un vocabulaire un brin précieux, qui accroche la lecture un peu comme quand on joue une note ou deux hors gamme, pour enrichir un phrasé et en extirpant un court instant l'auditeur de son écoute. Mais il est vrai aussi que c’est Léandre qui parle, qui pense plutôt, et que, tout misanthrope qu’il soit, il est aussi un homme éminemment cultivé.

En tout état de cause, je vous souhaite à tous la lecture de ce livre et, ce faisant, d’en retirer le plaisir que j’y pris. Quand je dis plaisir, je ne parle pas de plaisir de distraction volé entre la poire et le fromage… Je parle du plaisir à faire un pas de plus sur le terrain de la littérature.

Bertrand Redonnet, 25 janvier 2012

24 janvier 2012

Le Magazine des Livres, n° 34 - Janvier/février 2012

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Autant vous le dire, je suis tout spécialement attaché au trente-quatrième numéro du Magazine des Livres, qui paraît aujourd'hui.

- Tout d'abord, je m'y entretiens longuement avec Lionel-Edouard Martin, alors que son nouveau roman, Anaïs ou les Gravières, dont j'ai donc l'honneur d'être l'éditeur, paraît le 14 avril prochain aux éditions du Sonneur. Ceux qui me lisent savent l'admiration que je porte à son oeuvre, et, ce faisant, peuvent imaginer la joie que j'ai de pouvoir contribuer à faire connaître cet écrivain encore si méconnu. Si Lionel-Edouard Martin parle avec la pudeur et l'humour qu'on lui connaît, la conversation très libre que lui et moi avons eue donne une idée assez complète, et en vérité assez inédite, de son rapport au monde et à l'écriture.

- Ensuite, je suis très heureux que Carte blanche ait été donnée à Valérie Millet, fondatrice et directrice des éditions du Sonneur - où j'officie donc depuis quelques mois. Revenant sur la création de cette maison il y a un peu plus de six ans, elle revient, dans un article intitulé Ceux qui passent, ce qui passe, sur un certain nombre d'idées reçues, et interroge utilement quelques-uns des poncifs de la modernité éditoriale. Du Sonneur, j'aurai naturellement bien des occasions de reparler sur ce blog.

Les lecteurs trouveront enfin mes recensions des ouvrages de Tibor Déry (Derrière le mur de briques, éditions de La Dernière Goutte), de Joseph Vebret (Menteries, éditions Jean Picollec), et de Fabrice Lardreau (Un certain Pétrovitch, éditions Léo Scheer).

Je vous laisse découvrir ici le reste du sommaire, particulièrement riche.

21 janvier 2012

Toc 10 - Mort ou débile vif

En octobre 2003, à l'initiative d'Arnauld Champremier-Trigano et Pierre Cattan, naît le magazine TOC, qui fera paraître trente numéros jusqu'en 2007. J'eus la chance de participer à cette création, puis d'y oeuvrer comme chroniqueur. La chronique était intitulée : "Vrai ou faux".

TOC 10Mort ou débile vif

J’entretiens avec mon cousin d’Amérique une correspondance aussi nourrie que passionnée. Mais d’aimer ce cousin d’un amour inlassable ne m’interdit nullement de lui adresser quelques piques bien senties. Lui-même est d’ailleurs parfois tellement surpris des us et coutumes qui gouvernent aux comportements des siens qu’il me les narre avec empressement. Ainsi de la tragique anecdote qui suit.

Daryl Atkins est un pauvre garçon qui commit à dix-huit ans un de ces crimes abjects dont la presse de proximité scandaleuse aime à nourrir ses chroniques, et Nicolas Sarkozy ses appétits frénétiques. Toujours est-il que fut prononcé à son encontre une peine de réclusion à perpétuité. Véritable miracle s’il en est, dans ce doux État de Virginie : il échappait à la mort, au nom d’une disposition fédérale selon laquelle il serait excessivement cruel de conduire au trépas les bien nommés attardés mentaux. Or tel est précisément le cas de notre ami Daryl (dont je n’ose toutefois vous dévoiler le résultat des mesures de son Q.I.) Soit dit en passant, nous comprenons mieux pourquoi Slobodan Milosevic se battrait à ce qu’on dit comme un beau diable afin que son procès ait lieu en Virginie. Bref, la prison étant ce qu’elle est, une entreprise d’éducation et d’instruction civiques à tous égards exemplaire, Daryl recouvrit la raison au fil des mois, et avec elle un Q.I. tout à fait honorable. Las ! Éduqué, instruit, pour ainsi dire intelligent, il redevenait digne de la capitale sentence. Car pour mourir vraiment, je veux dire cruellement, encore est-il nécessaire au condamné d’avoir l’intelligence de ce qui l’attend. Ainsi débat-on ces jours-ci pour savoir si la dureté de la peine doit s’adapter aux méandres de son intelligence capricieuse : à débilité variable, peine impitoyable.

Toc 10 - Mars 2005

14 janvier 2012

Toc 9 - Et l'on mura Duras

En octobre 2003, à l'initiative d'Arnauld Champremier-Trigano et Pierre Cattan, naît le magazine TOC, qui fera paraître trente numéros jusqu'en 2007. J'eus la chance de participer à cette création, puis d'y oeuvrer comme chroniqueur. La chronique était intitulée : "Vrai ou faux".

TOC 9Et l’on mura Duras

Que je vous explique. Marguerite Donnadieu, dite Duras, eut un enfant, Jean, dit Outa, avec Dyonis Mascolo, gallimardien émérite et compaing de la rue Saint-Benoît. Mais Marguerite Donnadieu, dite Duras, eut également un amant, Yann Andréa, jeune dameret tombé en amour avec l’auteur des Petits chevaux de Tarquinia – à moins que cela fût seulement avec le livre, arguent les mauvaises langues. Nonobstant les perfidies ordinaires qui courent encore sur cette idylle qui le fut si peu, il n’est point de mon ressort de sonder les reins et les coeurs, et j’aime, pour ma part, l’aura de cet amour-là.

Que ceux d’entre vous qui redouteraient que nous gagnions là de trop chevaleresques cimes se rassurent : la vraie vie, querelles de voisinage et merles moqueurs inclus, reprend vite le dessus. Aussi la 13ème Chambre du Tribunal correctionnel de Paris vient-elle de relaxer Andréa l’amant, accusé par Jean, dit Outa, le fils de Marguerite Donnadieu, dite Duras, d’avoir obtenu d’elle et de son âme intempestive et passionnée qu’elle rédigeât un codicille à son testament, de manière à lui accorder jouissance de sa bénédictine demeure. Jouissance fort indûe, dit-on, la Duras n’ayant plus toute sa tête au moment de la rédaction dudit codicille. Le tribunal accordera à cette démonstration tout le crédit nécessaire, mais, une fois n’est pas coutume, fut davantage sensible à l’amour. Alors : vrai testament ? faux coddicile ? À ce qu’on dit en tout cas, l’appartement est fort joli.

Toc 9, février 2005

7 janvier 2012

Toc 8 - A vot' bon coeur !

En octobre 2003, à l'initiative d'Arnauld Champremier-Trigano et Pierre Cattan, naît le magazine TOC, qui fera paraître trente numéros jusqu'en 2007. J'eus la chance de participer à cette création, puis d'y oeuvrer comme chroniqueur.

Toc 8A vot' bon coeur !

Elle a toujours son petit quelque chose de générationnel dans la démarche : quelque chose de jeune (prononcez djeune) dans sa courtoise insolence et de très stylisé (mais dites plutôt staïle) dans le déhanchement. Pour ceux qui ne verraient pas ce que je veux dire, imaginez un individu femelle à l’air conquérant, n’ayant guère de scrupules à vivre et ne redoutant visiblement rien de son propre avenir. Avec son air de rouge à lèvres frétillant et son sourire de téléthonne, elle glisse une enveloppe dans une boîte jaune à l’angle de la rue Térésa. Je peux déjà vous dire qu’il y a un chèque dans ladite enveloppe (je le sais, ne me demandez pas comment). Pour votre gouverne, sachez aussi que la frétillante glisse chaque mois un chèque dans une boite jaune à l’angle de la rue Térésa. Le mois dernier, ce fut au profit d’une association de défense d’autruches victimes d’un mystérieux virus d’origine humaine (quand elle a su que la moitié des dons de ses compatriotes tombait dans l’escarcelle de la SPA, elle s’est empressée de monter dans le train de la compassion animalière : surtout, rester dans le mouv’). Le mois prochain, elle a déjà confié à sa meilleure amie qu’elle soutiendrait l’existence brisée d’une femme qui faillit expirer suite à une erreur médicale (survenue lors d’une greffe d’implants mamaires, à ce que j’en sais). Mais quant au chèque qu’elle vient de glisser dans la boîte jaune à l’angle de la rue Térésa, alors là, mystère. D’ordinaire, pourtant, je sais tout. Elle nous a repérés, moi et mon manège, c’est sûr. Point de cause urgente à défendre ce mois-ci (quand on pense à tous ces chiens qui crèvent dans les rues de l’hiver), alors elle fait semblant. Ses scrupules sont infiniment touchants.

Toc n° 8, janvier 2005