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Marc Villemain
28 novembre 2021

Ceci est ma chair lu par Olivier Vojetta


Ces quelques mots de l'écrivain Olivier Vojetta qui me font grand plaisir. 

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Mangez-le ! Mangez-le !

Avec Ceci est ma chair, Marc Villemain creuse, invente, joue, varie les voix et les registres, il va où il veut et passe d’une page follement drôle à un récit d’une rare cruauté, de considérations sociologiques à des références bibliques, du banal au vital. Il ose tout, fait preuve de la plus grande liberté et inventivité possible à chaque page. Dictionnaire goûteux et langoureux des expressions culinaires toutes faites mais pas que, son dernier roman joue dans la cour des grands, celle de Pierre Louÿs, avec une langue vivante et foisonnante, soucieuse de pittoresque et d’humour épique. Ils ont en commun un côté vicelard pas désagréable, il n’y a qu’à penser à cette « gracieuse Lisbeth [qui] capitonnait son gracieux fessier en suçotant quelques pénis farcis », une de ces trouvailles du langage qui n’aurait pas démérité dans La Femme et le Pantin, ce modèle du genre, veritable leçon en 13 chapitres à point c’est tout. Traqueur d’incongruités, fasciné par les carnations laiteuses, Marc Villemain est un génie du genre, un innovateur qui chaque fois surgit là où on ne l’attend pas. En le lisant, on s’abîme dans la littérature comme jeu et comme brûlure, dans l’amour toujours mêlé de la chair et des mots.

Olivier Vojetta est écrivain.
Visiter le blog d'Olivier Vojetta

 

3 novembre 2021

Jean-Claude Berutti - Je savais à peine le nom de ton pays

 

Aimer sans didascalies

 

C’est un beau texte, délicat, pur, élégiaque, que ce premier roman de Jean-Claude Berutti — bien connu des amateurs de théâtre, il dirigea le (toujours) mythique Théâtre du Peuple à Bussang, puis La Comédie de Saint-Etienne, avant de prendre la direction de l’Opéra de Trèves, en Allemagne.

 

Je savais à peine le nom de ton pays : l'intention se donne d’emblée, qui fait entendre son vague à l’âme, la douleur d’un lointain évanoui, la sensation de la perte — le deuil. Sur un marché, un dimanche d’hiver, la narratrice rencontre une jeune femme, Naja ; sans papiers ni travail fixe, elle descend d’un Grand Nord indéfini, contrée de fjords et de désolation. La vie bascule. Ce n’est pas seulement une parenthèse taillée dans le vif d'une existence un peu morne, c’est une révélation intime. Mais sans avenir : la vie est aussi chienne qu’elle est imprévisible. Recluse dans une bicoque au bout d’une île, n’ayant plus la force ni le goût de rien, la narratrice décide de vivre seule son désastre, tout entière tendue vers la remémoration et l’écriture de Naja — puisque aussi bien c’est toujours en écrivant que le réel se fait matière et que la mémoire s’éclaircit. Elle traverse les mers, découvre un pays que les « peaux blanches » ont condamné à l’isolement, à l’alcool et à la morbidité ; elle rencontre les siens, refait le chemin à l’envers. Le sentiment de la vie pourrait revenir, peut-être ; mais nul n’est jamais sûr de rien. 

 

D’une écriture limpide, sans apprêt, délibérément monocorde, presque psalmodique, Jean-Claude Berutti sonde à petit bruit ce qui fracture une existence, égrenant ce qui vient nous troubler, nous bousculer, nous contraindre à la ré-invention de nous-mêmes, tout autant que ce qui vient nous affliger, nous éteindre et nous perdre. Aussi y a-t-il quelque chose d’étonnamment universel dans ce singulier récit d’une vie qui se re-définit à travers l’autre.

 

Jean-Claude Berutti, Je savais à peine le nom de ton pays Éditions Le Réalgar
Illustré de gravures d’Émilie Weiss.